MOBILISATION DES PATIENTS
Dès mars 2020, des malades du monde entier découvrent qu’ils n’arrivent pas à se rétablir au-delà des 15 à 20 jours. Ils se réunissent sur les réseaux sociaux pour comprendre les symptômes, informer, se soutenir puis s’unissent au sein de collectifs et d’associations pour plaider la reconnaissance du Covid Long adulte et pédiatrique.
L'ÉMERGENCE D'UNE MOBILISATION MONDIALE EN PÉRIODE DE PANDÉMIE
En février 2020, les instances nationales et internationales de santé (Organisation Mondiale de la Santé et Center For Disease Control) annoncent un délai moyen de 20 jours pour se rétablir des formes modérées de la maladie, pour 80 % des personnes contaminées par le virus.
La prise en charge de la Covid-19 s'effectue selon deux profils de patients : les patients hospitalisés, majoritairement des personnes âgées avec des comorbidités et les patients confinés à leur domicile supposés être atteints d’un covid léger, ou d’un covid modéré sans forme respiratoire aigüe et/ou sévère.
Pourtant, dès mars 2020 des malades du monde entier découvrent qu’ils n’arrivent pas à se rétablir au-delà des 15 à 20 jours indiqués par la presse et commencent à décrire leurs symptômes prolongés, jamais sentis auparavant, pour essayer de comprendre ce qu’il leur arrive via les réseaux sociaux. L’hétérogénéité de l’évolution des symptômes, le fait que certains fluctuent, se chronicisent ou apparaissent plus tardivement viennent contredire les instances de santé et apportent une description différente de la Covid-19 que celle d’une maladie touchant principalement les personnes âgées et à risques. Les cabinets médicaux des spécialistes sont fermés pour cause de confinement, tandis que les urgences surchargées se concentrent sur les cas aigus. Les malades font face, seuls, à ces nouveaux symptômes sans possibilité d’effectuer des examens médicaux ou des tests virologiques ou sérologiques.
Pourtant, les symptômes qu’ils documentent sont polymorphes, fluctuants et touchent plusieurs systèmes : respiratoire, neurologique, cardiopulmonaire, musculaire, endothélial, digestif, entre autres et comportent des épisodes de fatigue extrême. Par ailleurs, ils évoluent avec des intensités et des localisations différentes sur plusieurs semaines, voire au cours d’une même journée.
En discutant entre eux, les patients rapportent une indifférence médicale au vue du contexte d'urgence, voire une attitude de suspicion qui se traduit par un diagnostic non fondé de “troubles fonctionnels somatiques” car leur tableau symptomatique ne correspond à rien de connu.
L'ORGANISATION DES MALADES EN COLLECTIF ET ASSOCIATIONS
Les patients rapportent un désert d’informations, un manque d’accès à des diagnostics et à une prise en charge adaptée faute d'avoir eu accès à une PCR, de disposer de marqueurs ou tests objectivant leur infection par le SARS-CoV-2 ou d'avoir une sérologie positive. Par ailleurs, ils présentent souvent des résultats d’examen de 1er recours négatifs (biologie, scanners, échographies, …) car les causes des symptômes prolongés n’étant pas connus, des outils de diagnostic pertinents comme l’IRM cardiaque, les bilans neurocognitifs, le TEP-scan cérébral… ne sont pas utilisés. Pourtant, partout à travers le monde, les malades décrivent des symptômes observables et décrivent un tableau clinique similaire.
A la grande surprise des malades, les patients vont faire face à une vague de déni de leur vécu et être étiquetés et diagnostiqués, sans preuve scientifique, comme étant atteints de stress post-traumatique, d’anxiété, de dépression ou de maladie psychosomatique. Cette expérience n'est malheureusement pas sans rappeler certaines maladies telles que l'endométriose ou encore l'ulcère de l'estomac qui ont été longtemps stigmatisées. La science contredira ce diagnostique anticipé.
Pour faire face à cette vague de déni, un groupe de soutien mutuel en ligne Body Politic-COVID 19 Support Group est créé le 26 mars 2020 à New York à l’initiative de deux femmes, Fiona Lowenstein et Sabrina Bleich. En quelques semaines, le groupe atteint des milliers de personnes de toutes les régions du monde. Des fils de discussion sont disponibles en fonction des thèmes, des communautés, des actions de recherche et des plaidoyers à conduire. Dans le même temps, d’autres patients se regroupent à travers le monde pour s’organiser en collectifs, soutenir et alerter les instances de santé.
En France, dès mai 2020, des malades du Covid Long, dont 3 fondateurs de l'association, se sont unis en collectif pour faire entendre la voix des malades dans l’espoir d'être reconnus et soignés un jour. Ils ont commencé à fournir du soutien aux personnes malades, rassembler les connaissances acquises (veille des articles de presse, recherche scientifique internationales), créer une identité visuelle, des supports d’informations, un site web informatif et contacter les journalistes pour alerter le grand public et le milieu de la santé de ce phénomène émergent.
Le 06 octobre 2020, 6 membres fondateurs ont créé l'association #ApresJ20 Covid Long France afin de poursuivre, avec une légitimité grandissante, ce travail de reconnaissance de la maladie, d’information et de co-construction de savoirs avec tous les acteurs de la santé selon 4 axes prioritaires : RECONNAISSANCE - COMMUNICATION - SOINS - RECHERCHE.
D'autres collectifs et associations ont également vu le jour pour multiplier les témoignages et engager des actions complémentaires ou spécialisés telle que la reconnaissance des enfants et adolescents atteints de Covid Long.
PLAIDOYER DES PATIENTS POUR L'USAGE DU TERME COVID LONG
NAISSANCE DU COVID LONG
Le terme Covid Long a été utilisé, en mai 2020, sous forme de hashtag sur Twitter pour la première fois par Elisa Perego, chercheure et patiente italienne.
Les premiers groupes d’échanges d’informations cliniques et de sciences humaines et sociales ont été mis en place par les malades eux-mêmes au même moment dans de nombreux pays (collectif Long Covid SOS et Long Covid Support au Royaume-Uni, association Covid Persistente en Espagne, association #ApresJ20 Covid Long et TousPartenairesCovid en France, groupe de soutien Body Politic aux États-Unis, collectifs Long Covid en Italie, etc.).
CONTROVERSE SUR LA TERMINOLOGIE DU COVID LONG
Une série de controverses sur la définition officielle des symptômes persistants entre l'utilisation du terme "Covid Long" défini par les malades eux-mêmes et l'usage des autres dénominations comme Covid post-aigu, syndrome post-covid, Covid 19 chronique, maladie chronique post-virale vont rapidement laisser place à des débats clivants. Les controverses reflètent un manque de connaissance de la physiopathologie de la maladie et la crainte pour les autorités de santé de devoir prendre en charge des milliers de patients.
Pour une partie du corps médical, passer du terme post-covid au terme Covid Long est au contraire logique, reflétant les avancées scientifiques qui vont de plus en plus en faveur d’une possible persistance virale prolongée (De Melo, Philippens) et des trajectoires multiples de la maladie.
Le terme Covid Long permet d’inclure l’hétérogénéité des profils de cette maladie polymorphe (les malades hospitalisés, les enfants, les jeunes adultes, les personnes asymptomatiques qui ont déclaré, parfois des mois après, des problèmes de santé…) et d’abandonner la division entre les malades ayant été hospitalisés et ceux qui ne l’ont pas été.
L'EXPERIENCE ET LA NARRATION DES PATIENTS
Les malades ont documenté leurs symptômes sous forme de cahiers, de photos, de vidéos pour faire reconnaître par leur médecin la réalité de leurs symptômes. L’analyse des discours et la remontée d’expériences des patients ont permis aux cliniciens d'établir une première cartographie de la maladie. Les observations des médecins et des patients étaient concordantes. Cette alliance a permis d'établir des diagnostics d’atteinte organique et de prescrire des traitements symptomatiques, adaptés. En revanche, de nouveaux enjeux ont vu le jour tels que les facteurs de risque et l’évolution sur le long terme de ces personnes atteintes de Covid long, la cause de ces symptômes, la mise en place de thérapie adaptés et l'évaluation des conséquences sociales.
LA COLLABORATION PATIENTS-MÉDECINS
Face au manque de connaissances médicales sur la persistance de symptômes une communication de type collaborative qui inclut l’expérience des patients et les invite à participer à la co-construction de savoirs scientifiques s'est mise en place avec certains cliniciens.
Mais les cliniciens, comme les patients, se sont vus objecter plusieurs critiques :
- la similitude des symptômes avec ceux de la fibromyalgie, maladie dont on ne connaît toujours pas la cause à ce jour et, qui est possiblement à tort, taxée de psychosomatique.
- l’absence fréquente d’anomalies objectives aux examens complémentaires standards et donc de preuve d’existence d’une maladie et le fait qu’un bon nombre de patients n’aient pas développé d’anticorps ou ont obtenu un test PCR négatif.
- la crainte (du fait des deux arguments ci-dessus) que ces cliniciens n’inventent une « nouvelle maladie imaginaire », avec le risque d’entretenir les patients dans leurs symptômes et de les empêcher de guérir.
- l’absence de recommandations et de preuves evidence-based.
RECONNAISSANCE DU COVID LONG
Des cliniciens engagés et une quarantaine de patients internationaux ont alors présenté une requête, le 21 août 2020, auprès de l’Organisation Mondiale de la Santé qui a reconnu le Covid Long. Les communautés de malades du monde entier, dont 2 membres fondateurs et la Présidente de l'association #Apresj20, ont pu plaider pour la terminologie du Covid Long.
Cette date a été un moment décisif et a favorisé la déclinaison de cette reconnaissance en guidelines de recommandations de bonnes pratiques issus dans les mois qui ont suivi par le NIH, le CDC et la Haute Autorité de santé pour élaborer, de façon multidisciplinaire les premières recommandations de prise en charge des patients avec symptômes prolongés de la COVID-19.
LES PATIENTS DU COVID LONG : DES ACTEURS AU CENTRE DE LEUR MALADIE
Dans la revue Gestions hospitalières n °162 de janvier 2022 , il est indiqué qu' « on observe une tendance de la communauté médicale à attribuer les symptômes corporels et les atteintes organiques et physiologiques méconnues à une cause psychologique, souvent par «défaut d’explication médicale». Ce qui a pour effet d’endommager la relation thérapeutique. »
L’expérience du Covid long invite à questionner la croyance et les représentations sociales des professionnels de santé à l’image de l’histoire de la santé (endométriose, cancer, ulcère, mononucléose…). Et on voit dans le traitement des maladies complexes en France que la tendance à la psychosomatisation a souvent été prônée pour soigner les patients.
Les médecins peinent à actualiser leur connaissance et il n’est pas rare que les patients acquièrent plus de connaissances que leurs médecins sur la littérature scientifique surtout grâce à l’utilisation des réseaux sociaux et des accès ouverts à la connaissance. A cela s'ajoute l'expérience de la maladie qui leur confère un savoir expérientiel propre à la pathologie.
“D’un côté, les patients attendent des réponses thérapeutiques adaptées, en vain ; de l’autre, les médecins sont confrontés à des patients qu’ils ne parviennent pas à soigner et dont les symptômes sortent de leurs grilles de lecture habituelles. De fait, les récits de patients Covid long constituent un «narratif dont les écoutants manquent» du fait des difficultés des cliniciens à «reconnaître, interpréter et agir sur leurs histoires» et à les orienter pour obtenir des soins pluridisciplinaires adaptés.”
En France, l'expérience du Covid Long a montré qu'il existait encore une crise de confiance entre soignant et soigné et une disqualification du vécu et de l’expertise des patients. Pourtant, les savoirs patients et soignants sont précieux pour développer un partenariat et une alliance thérapeutique constructive permettant à la fois d’orienter la recherche et d'améliorer les soins.
Ce plaidoyer a été présenté dans le cadre d'actions coordonnées en sciences humaines et sociales (SHS) organisées par l'ANRS - Maladies infectieuses émergentes. Des publications académiques sur la mobilisation des patients atteints de Covid Long, auxquels nous avons contribué, a également inspiré ce travail (cf. nos publications).