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Sandrine Pernice

Mon phare et mon radeau, mon fardeau

Il m’aura fallu 11 mois pour enfin oser témoigner de mon parcours covid, trouver la force mentale de l’affronter à nouveau. Compliqué aussi de poser des mots sur des ressentis si violents, si profonds et si improbables.

Ou de ne pas en écrire plusieurs tomes. La traversée fut longue, il y a tant de choses à raconter, tant de pertes à pleurer, tant de souffrances à exorciser...


Le 14 mars 2020, à 16h35 - jour du confinement - je tentais de boucler rapidement mon travail devant la photocopieuse, quand une collègue est partie en se plaignant de maux de tête. A cet instant précis, mes œillères ont enfin sauté et j’ai compris que ma narine gauche coulante, les vagues éclairs dans le crâne et les légers frissons ciblés aux omoplates ressentis depuis la veille n’étaient peut-être pas dû à un banal rhume.

D’autant que 4 jours auparavant j’avais aidé une jeune fille « grippée », sans masque. Il n’y en avait pas encore au travail à cette période.


En moins de 48h, mon état s’est dégradé à une vitesse ahurissante : courbatures très ciblées aux hanches et jambes à ne pas pouvoir dormir, céphalées, tachycardie, toux grasse sanglante, intestin gonflé et douloureux, sensation de fièvre brûlante sans fièvre, la poitrine écrasée par une douleur et un poids qui se déplaçait, les poumons en feu, des points douloureux sur la peau qui changeaient sans cesse de place.

Et surtout l’apparition d’un essoufflement au repos qui m’empêchait de prononcer le moindre mot.

J’avais déjà connu une grippe à en pleurer et qui m’avait donné l’impression de mourir pourtant cette fois je me sentais pratiquement trépassée.

Tellement atypique et soudain ce virus, peu importait le test, j’ai su de suite.

Chaque cellule de mon organisme ressentait l’anormalité, cette sensation inconnue jusqu’ici d’être dévorée de l’intérieur par un alien.


Je suis rapidement devenue une loque à peine humaine roulée en boule dans le canapé, lovée dans une bulle qui rejetait tout stimuli extérieur.

Ma seule activité consistait à compter chaque respiration grâce au chronomètre de mon téléphone - seul lien avec la vie réelle - puis recommencer inlassablement après avoir perdu le fil au bout de quelques secondes.

Réduite à garder un sursaut d’énergie et de souffle uniquement pour mon médecin, son 1er cas covid, qui m’appelait tous les midis et à qui je devais rendre chaque soir un compte-rendu détaillé de la journée.

Des efforts physiques et intellectuels terribles de quelques minutes qui me terrassaient et provoquaient un « coma » de plusieurs heures, le corps trop lourd.

Des journées à ne pas manger, à boire ce que mes enfants m’apportaient, tristes victimes collatérales.

Mes seules sorties laborieuses consistaient à me trainer chez le médecin et au laboratoire, seule voiture dans ces rues désertes, dans ce monde a l’arrêt.

L’unique feu rouge, témoin de mes bugs neurologiques, m’a regardé plus d’une fois, immobile, les yeux dans le vide, jusqu’à ce que je reprenne mes esprits et redémarre enfin.


Mon médecin, seul phare dans cette tempête, m’a littéralement sauvée plusieurs fois, sans même s’en rendre compte.

Il a fait le choix de protéger mes poumons dès les premiers symptômes avec une première série d’antibiotiques (puis 3 autres par la suite), efficaces ou non contre un virus, on ne saura jamais.

Puis m’a envoyé une 1ère fois aux urgences d’où je suis rapidement ressortie.

Radio poumons ok, écho du cœur ok.

Le test PCR ? Vous n’êtes pas éligible madame, vous n’avez rien...

Mais alors quoi ?

Haussement d’épaules fatigué, moue d’ignorance.

Au revoir Madame.


La 2ème fois, 4 jours plus tard, il m’a conseillé de prendre mes dispositions et m’a confié une lettre à leur donner.

Je passerai sur certains traumatismes trop intimes, mais d’autres sont intensément ironiques et reflètent les obstacles supplémentaires qu’il a fallu franchir dans un état d’extrême vulnérabilité.

Il faut aussi en parler.

Comme devoir trouver moi-même la prise pour brancher l’appareil à écho, l’opératrice n’y parvenant pas et n’osant pas demander à ses collègues.

Croiser les yeux hébétés de peur et d’épuisement d’une femme de mon âge allongée dans un box, en revenant du scanner. Le même regard qu’un lapin pris dans des phares, probablement celui que je lui renvoie aussi.

Et probablement la 2ème patiente covid de mon médecin, envoyée juste après moi et qui deviendra elle aussi covidlong.

L’infirmière, forcément traumatisée par cette guerre pour la vie et, probable exutoire à ses yeux, qui me narre en détail la procédure de mise en housse mortuaire des patients covid décédés et les 2 jeunes covid de 20 ans tout juste intubés, alors que je viens de faire une hypoxie heureuse(62, FC 45) et sous oxygène, sans même pouvoir lui hurler de se taire.

Le médecin échographe hypocondriaque qui m’agresse verbalement 30 longues minutes parce que j’ai eu l’audace d’avoir attrapé le covid et me présenter devant lui et qui a réussi, lui, à me faire verser des larmes alors que le virus n’y était pas parvenu.

Mais aussi 5 jeunes femmes médecins admirables qui ont absolument tout fait pour comprendre et m’aider au mieux, sans toutefois parvenir à prononcer le mot tant attendu (covid), mais qui me l’ont chuchoté à demi-mot (viral).

Car pour résultat final, des PCR et des sérologies négatives malgré TOUT, ultime revers qui me fermait toutes les portes, rejet violent et rageant.


Les semaines puis les mois se sont succédés, en même temps que les examens (lorsque j’avais un souffle d’énergie vitale et que j’acceptais de retourner au front) et les pathologies : pyélonéphrite, colite sévère, parotidites à répétition, apparition d’un kyste a opérer, etc...

Paradoxalement j’étais contente d’avoir enfin des atteintes qu’on pouvait traiter, l’impression de revenir dans un monde normal.

Un nouvel espoir s’entremêlait aussi à ce chaos sans fin : pouvoir faire quelques pas dans le jardin et regarder les roses éclore, chose que je pensais ne jamais revivre. Savourer l’eau chaude sur ma peau lors des douches enfin redevenues presque gérables. Enlever un de mes 3 oreillers pour dormir semi-couchée et non plus assise. Se sentir redevenir humaine. S’autoriser enfin à penser au lendemain.


En parallèle, certains symptômes de fond persistaient tandis que de nouveaux se mélangeaient aux fluctuants, d’intensité variable.

Des hématomes spontanés, des cheveux tombant trop facilement, l’œil gauche flou, des éblouissements, des fourmillements aux bras et aux mains, un engourdissement de la lèvre, du psoriasis, des frissons et une sueur nocturnes, des douleurs aux oreilles/mâchoire avec ganglions, des fasciculations (le seul symptôme rigolo), des mains glacées, une démarche de vache folle, des tremblements et problèmes de préhension, de la confusion mentale, des vaisseaux sanguins éclatés, la peau du visage épaissie et granuleuse, un goût métallique dans la bouche, le dos des mains enflammés, une explosion de cheveux blancs, des vertiges, un reflux, des odeurs fantômes, le goût altéré, des problèmes de déglutition, une langue chargée, gonflée et brûlante, une perturbation des règles, une douleur de la fosse iliaque droite qui m’empêchait de marcher ou de m’asseoir, des infections urinaires à répétition, une alternance bradycardie/tachycardie, les doigts qui pèlent, des vésicules, une conjonctivite, un brouillard mental corsé, une douleur incessante au mollet droit, des malaises, des troubles du sommeil, des douleurs musculaires/articulaires/osseuses, la bouche tellement sèche que je me réveillais la langue pendante.


Une nouvelle pochette-surprise chaque jour, parfois d’une heure à l’autre, un yo-yo incessant et aliénant, à attendre le pic puis l’amélioration logique qui doit normalement suivre lors d’un virus classique.

Mais n’y a pas d’amélioration pendant des mois, ni aucune logique d’ailleurs.

Juste une alternance de symptômes, d’espoir/désespoir qui me met à terre avec un seul objectif : survivre à l’instant présent.

Chaque soir à l’endormissement, le cœur avait des ratés. Mais je me sentais vaguement soulagée par la perte de conscience à venir, avec pour dernière pensée « on verra demain si je suis encore là, tant pis ».

Et chaque matin tellement étonnée d’être encore là.

Mon odeur corporelle même était modifiée, une odeur de putréfaction, de saleté, de maladie, que venait renifler mon chien intrigué.

Très déstabilisant car la preuve ultime d’une atteinte profonde de l’organisme et de la perte totale de contrôle de mon corps.

Les acouphènes continus m’ont pratiquement rendu folle et ont fini de me couper de tout lien social physique pendant plusieurs mois.


Au final, être covidlong c’est mener plusieurs batailles à la fois, celle contre les symptômes, celle pour être soigné/créer son propre parcours de soins, celle pour être reconnu/contre le déni, celle pour ne pas perdre son emploi, il y en a tellement...

C’est épuisant et ça demande une énergie qu’on ne ressent plus, usé par ces longs mois de calvaire.

Être covidlong, c’est aussi apprendre à étouffer ses sentiments, ses émotions fortes sous peine d’exacerber les symptômes et rechuter de plus belle.

Apprendre à trouver un équilibre fragile entre activité et repos.

C’est également des atteintes neurologiques, quand je ne sais plus combien de jours comprend une année, que je n’arrive plus à suivre un simple dessin animé, ni à m’exprimer (bégaiements, oublis, manque du mot, aucune concentration, aucune mémoire, lenteur intellectuelle).

C’est réapprendre à parler en écoutant les autres, retrouver de l’assurance en les imitant.

Ce sont d’innombrables post-it, des listes préparées avec grand soin pendant plusieurs jours et que j’oublie de sortir lors des rendez-vous médicaux. Le repas qui brûle depuis des heures sur le gaz. Les enfants que j’oublie d’aller chercher à l’école. Les prénoms des collègues, envolés. Les anniversaires souhaités un mois après l’événement, soit une deuxième fois.

Plus rien n’a de prise sur le cerveau.


Malgré tout, le brouillard cérébral, en m’isolant, m’a aussi protégée de la peur et des questionnements sur l’avenir. Toute réflexion de plus de 10mn étant impossible ces limbes cotonneuses étaient finalement plutôt confortables.

La dissipation du brouillard et le retour à la réalité, à comptabiliser les dégâts, ont été en revanche une période très sombre et douloureuse, avec ce constat : le confinement, je le vivais dans mon propre corps.


Durant tous ces mois, mon phare m’a empêché de m’échouer et m’écraser contre les rochers acérés des pathologies. Il a tenté de me guider à travers les écueils, perdu et aveuglé lui aussi par la tempête.

Mais quand mes dernières forces m’ont quittées et que je commençais à couler, j’ai aperçu le radeau des #Apresj20 avec toutes ces bouées attachées autour. Je me suis raccrochée à l’une d’elles pour me hisser parmi les autres naufragés et sécher mon âme grâce à cette chaleur humaine et cette entraide sans faille. Nous vivions (survivions) tous la même traversée.


1 an plus tard, je fais le bilan : 51 symptômes, 5 pathologies, 1 opération et une possible maladie auto-immune.

Un tsunami que j’ai littéralement senti déferler des poumons aux orteils puis remonter jusqu’aux cheveux en dévastant à peu près tout sur son passage.

Pourtant aujourd’hui je vais de mieux en mieux.

La reconstruction prendra du temps, mais tant bien que mal, mon phare et mon radeau (devenu paquebot) me ramènent chaque jour vers la terre ferme, au gré de certaines vagues (rechutes/pathologies) qui menacent encore de me submerger.

L’arrivée à bon port reste toujours incertaine mais la mer de symptômes s’est enfin apaisée et très franchement, j’ai bon espoir d’y parvenir.

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